Dans l’ombre de la catastrophe, le soin comme résistance
Les jardins ouvriers, nés au XIXe siècle, sont des espaces partagés où les travailleurs pouvaient cultiver des légumes et des fleurs, souvent en périphérie des villes. Ces jardins symbolisent la solidarité, l'autonomie alimentaire et la résistance face aux conditions de vie urbaines difficiles. Aujourd'hui, ils continuent de jouer un rôle important en renforçant les liens communautaires, en offrant un lieu de rencontre et en favorisant des pratiques durables. À travers les photographies, ces jardins témoignent de l’histoire sociale et environnementale, montrant comment le collectif et le soin de la terre sont des moteurs de transformation locale.
2. Photographie des jardins ouvriers
7. Sisters and I, Carla Gueye, 2024
Dans un rituel orchestré par la Cellule d'Action Rituelle (C.Δ.R) sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le collectif transforme une clairière en un espace sacré, où la communauté se rassemble pour marquer un sabbat dédié à la protection des communs. Des cercles de pierres et de branches délimitent l’espace, tandis que des tissus teints aux couleurs de la forêt flottent entre les arbres, évoquant une union entre l’humain et le non-humain.
Les participants, vêtus de capes improvisées, portent des objets trouvés sur la ZAD – outils agricoles, fragments de bâches, morceaux de bois – devenus des totems symbolisant la résistance. Au centre, un feu crépite doucement, alimenté par des herbes aromatiques et des brindilles, dont la fumée emplit l’air d’un parfum à la fois apaisant et stimulant.
Les gestes sont lents, chorégraphiés, mêlant chants gutturaux et récits murmurés, comme pour invoquer une mémoire collective enracinée dans la terre. À mesure que le rituel progresse, un sentiment de connexion s’installe : connexion aux autres, à l’espace, et à l’intention partagée de protéger le territoire. La lumière vacillante des torches danse sur les visages, transformant chaque participant en une figure à la fois familière et mythique, incarnant une communauté en lutte, mais aussi en soin. Ce rituel, loin d’être une simple performance, devient un acte de régénération collective, un moment suspendu où la politique rencontre le sacré.
Dans Sister ans I, Carla convoque la puissance féminine pour créer cette figure totémique et archaïque qui nous rappelle certains éléments corporelle. On y voit des seins, on y voit des fesses Ce sont des morceaux de corps que Carla utilise et imbrique avec rythme. Ce cylindre organique est divisé sur la hauteur en six parties. Chaque partie est une répétition de la forme féminine . La première, la base, est en fait une série de pylône, à la forme irrégulière, elle forme des creux, ou des jambes, aussi elle rappelle l’architecture vernaculaire troglodyte. La seconde partie est un répétition de sein pointus, il y en a six, trois et trois séparé par un forme ronde, une fesse. Au dessus de cette rangée, quatre formes, deux seins saillant et deux fesses rebondis se succèdent en miroir. Au dessus encore se retrouve une rangé d’une quinzaine de fesses surmonter du même nombre de seins. Le totem se termine avec quatre angle arrondis et lissés.
La chaux donne à la sculpture un aspect rugueux propre au matériaux. La lumière et les ombres met en valeur les forme de la pièce, amplifiant son caractère monumental et mystérieux. Cela convoque dans l’imaginaire collectif une déesse, un pillier de fertilité, quelque chose de mystique et oublié, réactivé par l’argot pour interroger notre relation au corps féminin, à la nature.

8. Rituels de guérison, C.A.R
3. Seed bomb, Green Guerrilla, Community form and garden, Liz Christy, 1973-1985
Entre 1973 et 1985, des initiatives comme les seed bombs, le mouvement Green Guerrilla et les jardins communautaires ont transformé des espaces urbains abandonnés en lieux de résistance et de solidarité. Sous la conduite de figures comme Liz Christy, ces actions visaient à réapproprier la terre et à créer des jardins collectifs où le soin de la nature devenait un acte de soin du collectif. Les seed bombs permettaient de semer des graines dans des espaces négligés, symbolisant une guérilla verte contre la dégradation urbaine. Ces jardins étaient des espaces de partage, d’entraide et de transformation sociale, où chaque geste de jardinage renforçait les liens communautaires et promouvait un avenir plus durable.
5. Seed Bombs, Caroline Le Méhauté
Caroline Le Mahauté, en reprenant le concept des seed bombs, propose une approche créative et participative du jardinage urbain. À travers des ateliers organisés lors de l'événement Sans Réserve, elle invite le public à s'engager activement dans la création de ces petites boules de terre et de graines, et réactive la green guérilla. Ces ateliers ne se contentent pas de sensibiliser à l’écologie urbaine, mais favorisent également un véritable travail collectif, où chaque participant contribue à la transformation de l'espace public. En redonnant vie à des lieux négligés, Caroline Le Mahauté incarne l'idée que le soin de la nature et de la ville passe par l’action collective, tout en renforçant les liens sociaux et la conscience écologique des participants.
Négociation 158 se déploie comme une structure circulaire, érigée à partir de briques de terre compactée, issues de terres d’excavation dites "mortes". Ces briques, à l’esthétique brute et organique, présentent des surfaces irrégulières marquées de creux, de fissures et d’empreintes, témoins d’un processus artisanal où la matière semble porter la mémoire de son façonnage. Les tons naturels, oscillant entre ocre, beige et brun, ancrent l’œuvre dans une palette minérale, évoquant la relation intime entre l’homme et la terre.

Ces briques ne sont pas simplement des éléments de construction : elles encapsulent des graines de plantes phytoremédiatrices, qui, par les processus naturels de dispersion, transforment progressivement la structure en un écosystème vivant. Ce mariage entre la rugosité des briques et la douceur de la végétation naissante crée une tension entre la fragilité et la résilience. Au centre, un jeune arbre s’élève, symbole d’un cycle perpétuel de destruction et de renaissance.

L’installation invite à une réflexion profonde sur la manière dont des matériaux rejetés et perçus comme stériles peuvent devenir des vecteurs de régénération. En mêlant art, écologie et temporalité, Négociation 158 célèbre la capacité de la nature à reprendre ses droits, tout en questionnant notre rôle dans ce processus de transformation.
6. Négociations 158, Caroline Le Méhauté, 2024
Dans les performances de marche organisées par le collectif MITR, le ruisseau des Aygalades devient un fil conducteur, guidant les participants à travers un parcours où l’urbain et le naturel se mêlent. Chaque pas est une exploration collective, une reconnexion avec un paysage souvent ignoré. Les artistes invitent les marcheurs à observer, toucher et recueillir les traces laissées par l’eau : des fragments de vie et de déchet, témoins de l’interaction entre l’humain et son environnement. Ces marches ne sont pas seulement des déplacements physiques, mais des actes de réappropriation, où les participants deviennent à la fois témoins et acteurs d’une réflexion partagée sur la mémoire et la résilience de ce cours d’eau oublié.
4. Photographies des déambulations performatives, MITR
9. Restitutions des marches de MITR
L’esthétique du collectif MITR repose sur une fascination pour les métamorphoses engendrées par la pollution. Les objets collectés dans le ruisseau, façonnés par l’eau et les déchets, deviennent des créatures hybrides, à la fois familières et inquiétantes. Ces artefacts, souvent exposés ou intégrés dans des performances, évoquent des formes organiques altérées, mi-naturelles, mi-industrielles. La lumière et les textures soulignent leur étrangeté, jouant sur le contraste entre la beauté des surfaces polies par l’eau et la brutalité de leur origine toxique. Ces monstres visuels questionnent notre rapport au rejet et à la transformation, révélant la poésie cachée dans ce qui est considéré comme détritus. À travers eux, MITR donne une voix à la rivière, montrant que même dans la dégradation, subsiste une capacité à créer et à inspirer.
11. Sequana, Yan Tomaszewski, 2023, performance
Inspiré par les ex-voto anatomiques découverts aux sources de la Seine, Tomaszewski a sculpté des fragments corporels en bois, représentant des organes internes. Ces sculptures ont ensuite été carbonisées pour devenir du charbon actif, un matériau ultra-absorbant utilisé dans la purification de l'eau. Ce processus symbolise une offrande contemporaine à la rivière, réactivant des gestes anciens de dialogue et de soin envers le fleuve.

En 2023, lors de la Nuit Blanche, l'artiste a orchestré une procession de ces sculptures ex-voto depuis le MAC VAL jusqu'aux berges de la Seine. Cette performance collective impliquait des participants portant les sculptures, recréant une cérémonie rituelle qui renforçait le lien entre la communauté et le fleuve, tout en sensibilisant à la nécessité de préserver cet écosystème.
1. Présentation de l’exposition
Réparer, préserver, réenchanter l’avenir à travers l’art du soin
LUCAS LOIGEROT
Après la procession, les sculptures ont été immergées dans la Seine, où le charbon actif a commencé son travail de purification, absorbant les polluants présents dans l'eau. Cette immersion transforme l'œuvre en une installation in situ, où l'art et l'écologie convergent pour créer un impact tangible sur l'environnement. L'installation finale n'est pas seulement une représentation symbolique, mais une intervention active qui souligne l'importance du soin et du respect envers les ressources naturelles.

"Sequana" illustre ainsi une symbiose entre performance artistique, engagement communautaire et action écologique, offrant une réflexion profonde sur notre relation contemporaine avec la nature et les rituels ancestraux.
10. Sequana, Yan Tomaszewski, 2023, installation
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L’exposition s’ouvre sur une exploration des pratiques collectives, rassemblant des œuvres qui réactivent des gestes partagés, des rituels contemporains et des processus participatifs. On y découvre le travail de Liz Christy et des Green Guerrillas, pionniers du mouvement des jardins communautaires, qui transformèrent des terrains vagues en espaces de vie collective dans le New York des années 1970. Leur approche, mêlant militantisme et écologie urbaine, trouve un écho dans les performances collectives de Yan Tomaszewski avec Sequana. Ce projet réunit des communautés autour de rituels contemporains, comme des processions d’ex-voto sculptés en charbon actif, pour réactiver notre lien au fleuve et au vivant. Dans le même esprit, Caroline Le Mahauté, avec ses ateliers publics de seed bombs et ses œuvres comme Négociation 158, invite à des gestes participatifs qui mêlent art et écologie, engageant le public dans une dynamique de réparation et de régénération.

Cette première partie met également en avant des collectifs tels que MITR et la Cellule d’Action Rituelle (C.A.R.), dont les performances incarnent un travail sur le lien et la transformation. Les marches rituelles de C.A.R., ancrées dans le territoire de Notre-Dame-des-Landes, ou les interventions poétiques et physiques de MITR, interrogent la manière dont les corps en mouvement et les gestes partagés peuvent créer des espaces de réinvention collective. Ces pratiques, profondément ancrées dans une réflexion sur le collectif, offrent une base fertile pour la seconde partie de l’exposition.

Le soin, fil conducteur de cette seconde partie, devient une réponse poétique et politique aux enjeux contemporains. Les œuvres exposées révèlent des pratiques où l’art se fait outil de réparation et de régénération. Négociation 158 de Caroline Le Mahauté, par exemple, propose une structure de briques de terre compactée, issues de terres excavées dites "mortes", dans lesquelles des graines de plantes phytoremédiatrices sont encapsulées. Ces graines, dispersées par les processus naturels, transforment progressivement l’œuvre en un écosystème vivant, incarnant un geste de soin envers la terre et le territoire. De même, Sequana de Yan Tomaszewski, par son immersion d’ex-voto en charbon actif dans la Seine, dépasse la symbolique pour devenir une intervention écologique tangible, purifiant l’eau tout en réactivant des rituels anciens.

L’exposition tisse ainsi un récit où pratiques collectives et soin se répondent et se renforcent. En mêlant engagement écologique, création artistique et réflexion sur le lien social, elle offre une vision à la fois poétique et engagée de notre capacité à agir ensemble pour un monde plus habitable.
Chahinez gadari